LUCIEN ROMIER

LE CARREFOUR DES EMPIRES MORTS

  • DU DANUBE AU DNIESTER

CHAPITRE PREMIER

EN VIEILLE ROUMANIE

Venant du Nord, à l’ issue des Carpathes, vers les provinces danubiennes, Valachie et Moldavie, quelle que soit la route que vous suiviez, vous apercevrez un monastère, le plus souvent misérable, jadis refuge pour les voyageurs en péril, mais surtout poste avancé de l’ Église orientale à la rencontre de ceux de ses fidèles qui chaque anée descendaient de la Transylvanie vers le Sud.

RENCONTRE DANS LA FORÊT VALAQUE

Depuis deux heures, la route n’a pas quitté la forêt. Nous nous arrêtons à l’entrée d’un chemin de cailloux et gravissons à pied la pente qui conduit au petit monastère.

Une grille de bois, fragile et tout simple, peinte en blanc, sert de porte cochère. Par là nous pénétrons sous le porche rustique qui réunit deux corps de bâtiments, l’ un où habitent les moines, l’autre où ils travaillent. Le tout est à peine aussi grand qu’ une ferme bretonne. La cour, tapissée d’herbes folles, s’ouvre du côté de la montagne: les sapins l’ envahissent comme si la forêt avait détaché une patrouille pour contrôler les faits et gestes de cet établissment humain.

Au milieu de la cour, la chapelle, très petite, délabrée, tout peinte à l’extérieur comme à l’intérieur. Un étroit pavé y donne accès. Le moine qui nous conduit est affreusement maigre. Sa barbe et ses cheveux très longs ressemblent à des écheveaux de laine brune. Sa lourde soutane pése sur son corps sans chair. Mais, à nous montrer le sanctuaire, les icones, les peintures murales, un doux empressement anime ce moine, et son regard salue incessamment notre curiosité.

D’après ses explications, la chapelle n’aurait que trois cents ans. Mais, peut-être, a-t-elle remplacé une chapelle de bois bien plus ancienne. Ces moines ne font pas profession être érudits. Ils n’ont rien de la science de nos Bénédictins. La plupart sont des fils de pauvres paysans qui ont trouvé un état, assez peu nourrissant, dans la vie monastique.

Le moine a-t-il deviné que je suis Français?

Il se penche et me montre le bas de la muraille peinte qui porte des traces de souillure : << Pendant la guerre, me dit-il, les Allemands firent de cette chapelle une écurie à chevaux. >> Sa voix ne trahit ni émotion, ni rancune.

Nous revenons vers le porche d’entrée, et j’y rencontre un autre moine, plus vigoureux, l’air rude, la barbe en broussaille, chaussé de lourdes bottes sous la soutane, et les mains dans les poches. Nous l’interrogeons sur la vie des moines, leur pauvreté, les privations qui’ils endurent. D’abord il ne répond pas. Nos questions l’agacent. Puis il secoue les épaules, nous montre le cimetière que j’avais pris pour un potager abandonné, et nous jette ces mots: << Seuls sont bien ceux qui sont sous la terre! >>

Un gros orage éclate. La pluie fouette les montagnes. Le premier moine, toujours affable et doux, nous accompagne, les pieds dans l’eau, jusqu’au bas du chemin rocailleux, avec un parapluie de lourde étoffe et bien conditionné…

Il pleut, il pleut sans cesse sur la forêt et sur les monts. Au bord de la route, devant une maison, nous apercevons un tombereau couvert en forme de caisse basse, une sorte de roulotte à cochons, que l’on tire à bras. Un homme et trois petits enfants sont sortis de la caisse ruisselante de boue. Ils vont frapper à la porte de la maison pour mendier.